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Golgotha


nerelucia

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nerelucia Membre 12 886 messages
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Quand j'aurai été élevé ...

Henri Daniel-Rops, historien, spécialiste de Jésus et ses disciples

Brève histoire de Jésus-Christ

Au Nord-Ouest, le rempart de Jérusalem dessinait un redan, en face de la pente du Gareb. La porte d'Ephraïm y était percée, qui menait vers Jaffa, et, un peu plus loin vers l'Est, la porte de la Poissonnerie d'où partait la route du lac par Samarie. Selon l'usage antique, des tombeaux s'alignaient, le long des voies. Le lieu était sinistre, hanté de chiens errants et de vautours. Car il y avait souvent de la pâture pour eux.

C'était là, en effet, que se dressaient les bois patibulaires où devaient mourir les condamnés à la peine capitale. Une butte de calcaire pelé, ¿ le « crâne chauve » disait le populaire, en araméen Golgotha, Galvarius en latin, ¿ où demeuraient plantés en permanence des fûts hauts de deux mètres cinquante auxquels il suffisait de fixer une poutre transversale pour avoir l'instrument classique pour l'exécution des esclaves fugitifs ou criminels, des bandits et des rebelles : la croix.

« Tuez les faux prophètes aux jours de grandes cérémonies », disait la Loi. Que leur mort soit publique « afin que le peuple voie et tremble » (Deut., XIII. 11). Ces corps accrochés au bois, tous les pèlerins arrivant de Césarée, de Jaffa, de Galilée, les verraient : leçon terrible... Ce fut à la butte chauve qu'on mena donc Jésus.

Pour conduire un homme à la mort, les Juifs avaient tout un cérémonial. Un héraut marchait en avant du cortège, rappelant le crime qui avait motivé l'arrêt ; des étudiants en religion escortaient le condamné, l'exhortant à la repentance, un délégué du Sanhédrin surveillait les opérations. On n'a pas l'impression que, pour Jésus de Nazareth, on ait fait tant. En revanche, le Procurateur fit contrôler l'exécution par un centurion et un peloton de soldats.

Avant que le cortège se mette en marche, Pilate donna l'ordre de faire rédiger un écriteau. C'était encore un usage romain que d'afficher au-dessus de la tête du supplicié la cause de sa condamnation. Mais que mettre pour Jésus ? Sans doute le fonctionnaire avait-il tremblé intérieurement quand la foule avait fait une allusion très claire à une possible dénonciation : il tenait sa revanche. « Jésus, le Roi des Juifs » ; tous les passants pourraient lire cette inscription en latin, en grec, en hébreu. La raillerie était lourde, mais les malins politiques qui avaient accusé Jésus d'avoir voulu se faire roi étaient pris à leur piège. Toutes leurs protestations se heurtèrent à un refus amusé.

La sixième heure commençait au moment où le cortège se mit en marche (Jean, XIX. 14), c'est-à-dire environ onze heures et demie. Il sortit de l'Antonia et par les voies à degrés, lentement, se dirigea vers le rempart. Tel fut le premier de ces « chemins de Croix » que la piété chrétienne aimera à commémorer par une liturgie simple et poignante, au long des traditionnelles « quatorze stations ». Tout ne sera pas historique dans cette tradition : ni les « trois chutes » du Christ, ni la rencontre avec sa mère, ni le geste, si symboliquement beau, d'une femme du peuple, Véronique, essuyant, d'un linge miséricordieux, la face outragée et ensanglantée de Jésus. L'essentiel, que les évangélistes rapportent, est déjà en soi assez poignant. Le malheureux, épuisé par une nuit de veille et la flagellation, portant sur l'épaule le lourd madrier destiné à son supplice, buttant, tombant, si évidemment à bout de force que le centurion du service d'ordre réquisitionne pour l'aider un passant, ¿ un Juif de Cyrène, nommé Simon. « Voie dolereuse », diront les pèlerins chrétiens du Moyen Age qui viendront la suivre à genoux ; « porte dolereuse », diront-ils pour désigner celle par laquelle ils croyaient que le cortège sortit de la ville (En fait ce fut plutôt par la porte d'Ephraïm). Ce n'était pas hier que le prophète avait annoncé que le Messie offert pour la rédemption du monde serait l'homme de douleurs (Isaïe, LIII).

La croix n'était pas un moyen de supplice juif. Dans la Bible les peines prévues étaient la lapidation, ¿ la plus usuelle, ¿ le feu, infligé rarement mais dans des conditions plus horribles que celles du bûcher médiéval, et la décollation, peine des idolâtres et des apostats. La crucifixion était probablement d'origine perse, apportée sur les bords de la Méditerranée par les Phéniciens, adoptée à Rome très tôt, ¿ par Tarquin le Superbe, disait-on, ¿ et répandue ensuite partout. En Judée même, la dernière dynastie sacerdotale, celle des Asmonéens, en avait fait abondamment usage. C'était nettement un supplice infamant, infligé aux condamnés de basse extraction ; Verres, le proconsul de Sicile, avait été véhémentement accusé par Cicéron d'avoir insulté l'honneur romain pour y avoir condamné un citoyen.

« Supplice très cruel et terrible » dit précisément Cicéron dans ses « Verrinnes ». Fixé au bois par des clous ou des cordes, le corps, tirant sur les bras, se raidissait dans une crampe atroce ; les poumons se bloquaient ; la fièvre montait, asséchant les muqueuses, faisant battre le c¿ur de façon désordonnée. Mais la mort pouvait se faire longtemps attendre : trois jours, à ce qu'assuré Pétrone. D'autant que, pour éviter que la chair des mains se déchirât et que le corps ne tombât, on prenait soin d'enfoncer les clous entre les os du poignet, et souvent de placer entre les jambes du condamné, une sorte de béquille, en forme de corne de rhinocéros, ce qui empêchait l'asphyxie par tétanisation de se faire vite. On comprend qu'un tel supplice fût très redouté. Au moment de la Guerre juive, on verra les défenseurs d'une place la livrer plutôt que de le voir infliger à leur chef, fait prisonnier.

Arrivé au Golgotha, Jésus fut jeté à terre, et fixé, bras étendus, à la poutre qu'il avait portée. Ensuite de quoi un système de palans hissa le madrier jusqu'à l'encoche prévue dans le pieu vertical. La souffrance et l'horreur commençaient. Elles étaient si connues que la Loi prévoyait (Proverbes, XXXI. 6) qu'on fît boire aux condamnés une « liqueur forte », vraisemblablement plus ou moins hypnotique, pour les insensibiliser quelque peu. Il existait à Jérusalem une confrérie de femmes qui prenaient soin de cette charité suprême. Mais quand on offrit à Jésus le « vin mêlé de myrrhe », il refusa. Il ne tricherait pas avec sa mort (Marc, XV. 23).

Il ne restait plus qu'à attendre. Deux bandits avaient été crucifiés en même temps que Jésus. Lentement les curieux qui avaient pu suivre le cortège se dispersèrent. Au pied de la Croix, il ne resta qu'un très petit noyau de fidèles de Jésus, sa mère, les deux s¿urs de Béthanie, quelques autres femmes courageuses, et un seul disciple, Jean : tout le reste avait fui, épouvanté, et s'était caché dans les bas quartiers de la ville. Il y avait aussi le peloton de quatre gardes chargé de tout surveiller, jusqu'au bout. Traditionnellement, c'était à ceux qui avaient participé à une exécution qu'on abandonnait les vêtements des condamnés : l'usage sera codifié au Digeste. Les soldats firent donc quatre parts, se les répartirent. Mais comme la tunique de Jésus était belle, sans coutures, ils renoncèrent à la partager et la tirèrent au sort. Savaient-ils que, ce faisant, ils accomplissaient une prophétie ? (Psaume, XXII. 19.) Tant il était vrai que ces événements affreux entraient dans un plan qui était plus qu'humain.

La mort mit trois heures à faire son ¿uvre : trois heures de souffrances si épouvantables qu'aucun mot ne saurait les exprimer. Souffrances de la chair : on vient de le dire. Souffrances de l'âme aussi, et plus encore, celles du juste victime de l'iniquité, celles du messager d'amour crucifié par la haine. Une haine qui ne désarmait pas devant le spectacle de ce corps torturé, pitoyable. Passants, badauds, de plaisanter l'agonisant : « Eh ! Dis donc, toi qui détruis le Temple pour le rebâtir en trois jours, sauve-toi donc toi-même ! Descends de là-haut ! » On croit les entendre. Et les soldats, sans doute des Bédouins ou des Samaritains, d'enchaîner : « Eh, roi des Juifs, montre-nous ta puissance ! Délivre-toi ! » (Matt., XXVII. 40 ; Marc, XV. 29 ; Luc, XXIII. 37.)

Pourtant, à toute cette abjection, les seules réponses de Jésus sont de miséricorde. Il entend les railleries et murmure : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font ! » Phrase consolante, qui efface d'un coup l'exclamation féroce que la foule avait lancée à Pilate : « Que son sang retombe sur nous ! » Si consolante qu'un pécheur ne saurait l'entendre sans frémir d'espoir. Au bandit mis en croix à son côté, et qui l'implore, ¿ l'autre s'associe à l'affreuse moquerie des assistants, ¿ c'est de même avec une infinie tendresse que Jésus promet le pardon, le salut, le Royaume (Luc, XXIII. 39. 43). A l'heure même où il s'accomplit, le sacrifice du Dieu incarné se répand en grâce sur la terre ; n'était-ce pas aussi bien pour chacun de ceux qui l'avaient condamné, torturé, insulté, qu'il versait son sang ?

Tout cela sortait des perspectives de la terre. Cette mort du juste immolé était surnaturellement nécessaire, ¿ sine sanguine non fit remissio , ¿ mais elle n'en était pas moins un scandale, une atteinte à l'ordre du monde. Ce pour quoi le monde physique lui-même réagit, témoignant de son horreur : « de la sixième à la neuvième heure des ténèbres couvrirent la terre », disent les évangélistes synoptiques. Ainsi l'avait annoncé le vieux prophète Amos (VIII. 9).

Atmosphère d'angoisse et de terreur, sous un ciel noir, dans l'haleine du Khamsin d'Arabie, où les objets les plus familiers prennent un aspect sinistre et redoutable, où l'on croit respirer, avec l'air brûlant, la mort et l'abandon. « Eloï, Eloï, lamma sabachtani ! » (Matt., XXVII. 46.) Du haut de la Croix sont tombés ces mots araméens qui traduisent le début du grand Psaume XXII, psaume prophétique : « Seigneur, Seigneur, pourquoi m'as-tu abandonné ? » Tout était dit : tels devaient être les derniers mots de Jésus sur la terre, comme pour signifier aux hommes que leur grande angoisse devant la mort, leur détresse sans limites, le Christ les avait prises à son compte.

Quelques instants plus tôt, il avait, dans une intention touchante, demandé à Jean, le disciple aimé, de prendre soin de sa mère. Puis, humainement, humblement, il avait gémi qu'on lui donnât à boire. Et à la troisième heure, tout était consommé.

C'est saint Luc qui a donné le récit du suprême instant. Jésus n'avait plus rien à dire à la Terre : il lui restait un mot à dire à son Père, celui qui surmonterait l'angoisse de l'abandon. « Père, je remets mon esprit entre tes mains », dernier acte de confiance, paroles de foi qu'au cours des siècles l'Eglise mettra aux lèvres de tant de mourants, pour qu'ils y puisent l'espérance (Luc, XXII).

Les synoptiques, rapportent encore que des prodiges marquèrent l'instant où l'âme du Christ quitta la chair qu'il avait voulu prendre pour souffrir et pour mourir. Un tremblement de terre se produisit-il ? Le rideau qui marquait l'entrée du « Saint », dans le Temple, se déchira. Des rochers se fendirent. Singuliers phénomènes : l'histoire en a connu de semblables à Jérusalem, tel le séisme qui fissura la coupole de la basilique du Saint Sépulcre. On vit même des apparitions de morts à travers la ville. « Cieux et terre, avait dit le prophète Joël, sont ébranlés » (III. 14. 16). Tel était bien le jour de Dieu.

Les spectateurs de ces événements en comprirent-ils la signification ? On en doute. Bien peu durent faire le rapprochement entre ces manifestations apocalyptiques et la mort du piètre agitateur qui achevait de mourir sur une butte chauve, à la porte d'Ephraïm. Seul, à ce que rapporte saint Marc (XV. 29), un homme fut atteint jusqu'au fond de lui-même, retourné : le centurion de service au lieu de l'exécution. Le mot lancé par les dirigeants juifs : « il se dit Fils de Dieu » lui revint-il en mémoire ? « Fils de Dieu... s'écria-t-il, il l'était vraiment ». Le sang versé sur la Croix venait d'opérer la première conversion à la foi chrétienne... (Saint Matthieu attribue la même réflexion à tous les gardes).

Quelque deux heures plus tard, le Sabbat de la Pâque allait commencer. Dans le Temple on entendrait retentir les coups des trompettes rituelles et la plainte du « sophar », la corne au son grave et triste. La loi interdisait que le corps d'un condamné passât la nuit accroché au bois (Deut., XXI. 23). A fortiori la nuit très sainte du Sabbat pascal. Il fallait donc que le corps de Jésus fût déposé de la croix. L'autorisation du Procurateur romain était indispensable. Un Sanhédrite, ¿ un de ceux, précise saint Luc, qui n'avait eu aucune part aux desseins et aux décisions de la majorité (XXIII. 31) ¿ se chargea d'aller la demander. Il se nommait Joseph et était du bourg d'Arimathie, près de Lydda. Avec Nicodème il est la vivante preuve que, jusque dans les milieux dirigeants d'Israël, responsables du drame, il y avait des hommes qui étaient indemnes de tout reproche. Quelques Juifs, pour des motifs tout autres, afin d'éviter à leur ville la souillure, firent en même temps une démarche analogue.

Avant d'accorder la permission demandée, Pilate fit prendre une précaution. Les suppliciés étaient-ils vraiment morts ? Un piquet de soldats fut envoyé sur les lieux pour s'en assurer. Les deux bandits crucifiés avec Jésus respiraient encore : on leur brisa les jambes à coups de barres de fer pour hâter la fin. Mais Jésus était réellement mort. Un soldat, d'un geste machinal, lui enfonça la pointe de sa lance dans la poitrine. « II en sortit du sang et de l'eau », précise saint Jean, témoin de la scène (XIX. 32. 35). Eau et sang auxquels la tradition accordera une valeur symbolique, figures du baptême et du martyre qui, l'un et l'autre, rédiment. A l'horreur du supplice ce coup de lance n'ajoutait rien : mais ce flanc transpercé du Fils de l'homme, il était bien vrai qu'il avait une mystique signification.

Il était donc permis de descendre Jésus de sa croix et de remettre son corps à sa famille et ses amis. Avant que la nuit vînt, ce fut chose faite. Et accomplies aussi les formalités pieuses dont les Juifs entouraient l'ensevelissement ; laver le mort, l'oindre, l'envelopper de linges : l'obligation était si formelle que même en plein Sabbat il était permis de se livrer à ces tâches. On pouvait dès lors placer Jésus dans un sépulcre. Joseph, le sanhédrite d'Arimathie, décidément généreux en toute cette occurrence, mit à la disposition des amis de Jésus un tombeau tout neuf qu'il avait fait établir en prévision de sa propre sépulture. (Matt., XXVII. 60 ; Marc, XV. 46 ; Luc, XXIII. 53 ; Jean, XIX. 38). On y porta le Christ mort.

Un autre puissant en Israël manifesta encore l'admiration qu'il portait à Jésus : Nicodème, l'homme de l'entretien nocturne, que les paroles du Christ avaient remué, qui n'avait pas osé obéir à l'appel, mais que les événements qui venaient de s'écouler avaient transformé. Ce fut lui qui se chargea d'apporter les aromates dont l'usage voulait qu'on entourât le corps au sépulcre : myrrhe et agalloche (Jean, XIX. 39) (Non pas aloès médicinal à l'odeur infecte, comme certaines traductions laissent entendre).

Puis la meule fut roulée dans ses rainures pour qu'elle vînt bloquer l'entrée du petit couloir qui, dans le tombeau riche des Juifs, s'enfonçait dans le rocher de la butte, précédant la chambre funéraire où, sur une banquette de pierre, reposerait le mort. Le Dieu de vie était donc étendu là, sous terre, enveloppé d'un linceul, un suaire posé sur le visage, tout comme un homme. Et pour toujours...

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Membre+, E-mage, 75ans Posté(e)
usagi Membre+ 363 016 messages
75ans‚ E-mage,
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:snif: mouais , c'est un joli conte :snif:
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