L'habitant de l'infini -Hiroaki Samura

Ca commence ainsi et s'en suivent des vendettas à répétition, des conflits d'idéaux (affrontement de deux écoles martiales), des remises en question (Manji doit-il continuer à vivre ? Ai-je eu raison de tuer pour mon idéal ? etc...), une galerie de personnages poignants (Anotsu, Lin,...), du sang, des larmes, des pétales de fleurs de cerisier pour éponger,...

C'est une histoire poétique, une tragédie. La tragédie de la vie qui pousse à faire des choix que l'on regrette, qui pose les gens les unes contre les autres. On parle d'art, de temps, de jeunesse et de vieillesse. On suit des parcours étranges que le passé éclaire peu à peu.

Le rythme est savamment maîtrisé.

Anotsu, le "méchant", s'amuse avec Lin, la petite protégée de Manji. Il ne la torturera pas mais la gardera sous la menace constante de la lame. Il arrive même à attendrir la jeune fille (syndrôme de Stockholm), émue par son idéal et par ce qu'il est alors qu'Anotsu est meurtrier de membres de sa famille. Là est toute la finesse psychologique de ce manga.

Il y a beaucoup d'instant de calme et de réflexion dans l'Habitant de l'infini. Pauses alternées avec la violence et la fugacité des combats. Combats tellement agressifs qu'ils en deviennent graphiquement proches de l'abstraction et où la violence des chocs est parfois magistralement mise en "arrêt sur image".

L'humour est aussi présent, le personnage de Manji étant parfois maladroit ou le plus souvent cynique.

Manji et Lin, une relation presque fraternelle compliquée.

Cet équilibre entre calme et tempête nous porte et nous fait vraiment réagir. La violence n'en est que plus choquante, dans le bon sens du terme. On comprend que certains personnages répugnent à user de leur sabre voire à se venger dans le sang.

Manji est blessé. Heureusement, son ver magique est un bon médecin.

Graphiquement, l'oeuvre de Samura est loin du manga mainstream avec ses personnages formatés, ses encrages mécaniques et ses trames collées comme pour boucher les trous.

Il joue avec la plume, le crayonné, les lavis d'encre, le pinceau pour insuffler une emphase graphique à ses scènes. Certaines sont dignes des plus belles estampes japonaises. De plus, les techniques ne sont pas régulières, ce qui donne l'effet que tout peut arriver pour les personnages, y compris dans le dessin.

On approche de l'abstraction des images lors des actions brutales et foudroyantes.

Un onirisme obscur habite aussi ce manga. La magie, le mysticisme sont au rendez-vous mais toujours en demi-teinte. On ne sait jamais ce qui est magique et ce qui ne l'est pas, qui ment et qui dit vrai.

Compositions, lumières, décors, détails historiques et anatomies (Samura est un ancien médecin) ne font qu'ajouter au charme de cette histoire de samouraï et d'âmes perdues, très loin du manichéisme de beaucoup de manga shônen (BD pour jeunes ados masculins, avec bagarres, ninja, parcours initiatique d'un jeune héros). D'ailleurs, l'Habitant de l'Infini n'est pas forcément à classer dans le shônen.

Je pourrais en parler pendant des pages et des pages, le mieux est de le lire.