Le mariage de Maria

[chapati 1 803]

J’ai absolument aucun souvenir du moment précis où ça a basculé. Tout avait pourtant bien commencé, je me souviens encore de l’oeil humide des copains, à la fois envieux de mon sort et un peu triste de me voir partir. J’avais été digne, on s’était serré dans les bras et je sentais bien que ces types-là, avec moi, c’était à la vie à la mort.

Quand je suis parti je savais les regards sur moi mais je ne me suis pas retourné pour leur montrer ma détermination. Les filles m’attendaient là-bas, nues et impatientes, j’allais bientôt les retrouver et mon cœur battait déjà la chamade. J’avançais du pas de l’homme viril, sûr de sa destination.

Tout allait bien.

Alors vous dire quand, je sais pas moi. Il avait du y avoir une espèce de vide dans ma tête à un moment, je me souviens plus. Toujours est-il que ça m’a pris : mais bon dieu quel jour était-on donc ? Non le chef avait dit euh... quoi déjà ? Ah je me souviens jamais de ces noms de fêtes religieuses ça m’énerve ! Enfin bref, j’étais plus trop sûr.

En plus l’adresse... vous dire l’allure du plan c’est pas racontable : en guise d’orientation le chef avait fait un soleil d’enfant censé être au bon endroit à l’heure dite. Sinon ça bifurquait à droite à gauche, et bien sûr ça finissait tout petit dans un coin de la feuille, dans un embrouillamini infernal. Bon j’étais pas non plus pressé, la fête était censée durer un moment, et dix minutes de retard y’a pas mort d’homme, mais quand même, le travail bien fait c’est le travail bien fait

Le plus dur ça a été la forêt, évidemment absolument pas indiquée dans le plan de merde, comme si le chef était pas foutu de dessiner un arbre. J’y suis rentré et ressorti trois fois je crois. Ça m’a énervé tout ça, moi qu’étais bien tranquille au départ. Bref, à un moment il fallut bien me rendre à l’évidence, j’avais plus du tout envie d’effectuer cette mission !

... et en plus l’air con à traverser la forêt dans tous les sens, perdu.

Et soudain, je l’ai vue. Mais qui donc ?

Le chef avait quand même pris une photo qu’il m’avait laissé, et là pas de doute, c’était bien l’église en question. L’église oui, mais pas une chatte en vue : en lieu et place du mariage du maire et d’une fête à tout casser, un pauvre type l’air tout aussi largué que moi, qui semblait hésiter entre entrer ou partir aux champignons. Le gars a finalement opté pour la première solution. C'est con la vie.

Ne sachant plus trop quoi faire je l’ai suivi. Je l’ai vu allumer un cierge avec un bout de cierge presque fini de consumer puis aller se recueillir près de la nef. L’église était vide. Là m’est passé par la tête un truc de ouf : j’ai failli aller me mettre à côté de lui et prier à ses côtés ! J’étais vraiment naze.

Bon je me suis ressaisi et me suis accroupi au fond de l’église en me demandant ce qu’il fallait faire.

J’avais mis mon portable sur silence depuis le début mais vu le retard, je visualisais les appels du chef de plus en plus rapprochés et le truc commençait à sérieusement m’inquiéter. Les copains racontaient des histoires comme quoi, pour plus de sûreté, le chef plaçait discrètement des télécommandes dans les ceintures, deux précautions valant mieux qu’une.

En tous cas j’étais coincé, si je désamorçais cette putain de ceinture, ma femme me regarderait comme un clown jusqu’à la fin des temps, sans parler du chef et des copains, dont j’étais soudain plus vraiment sûr des réactions.

Qu’est-ce que j’étais allé faire le con dans cette histoire ? C’est pas vrai quand même. Je venais juste de dégotter un bon taf aux abattoirs du coin, à débiter du cochon tranquille pour un salaire honnête. Tout roulait et voilà que je me laisse embarquer par le directeur de l’usine, qui se prend d’amitié pour moi qu’il dit, et se met à m’expliquer la vie de Mohammed du matin au soir.

En deux jours j’avais compris que l’abattoir c’était en fait un fake pour attirer de jeunes beurs dans mon genre. Le type nous expliquait en arrivant qu’ils ne prenaient que des frères parce que comme ça, il était sûr qu’on partirait pas le soir en planquant des tranches de porc dans nos poches. Ça le faisait rigoler quand il nous racontait ça.

Bref il chopait de temps en temps celui qui avait l’air le plus débile et commençait à le travailler au corps. C’était tombé sur moi. Et en deux semaines je me suis retrouvé à faire le con perdu dans la forêt avec une ceinture d’explosif à la taille : le gars avait un certain talent pour convaincre.

Je repensais à tout ça, accroupi dans un coin, pendant que l’autre taré était toujours agenouillé devant l’autel. De dos il avait une drôle de tête. Il avait même pas enlevé son béret, d’où dépassaient deux oreilles disproportionnées, et commençait maintenant à psalmodier tout haut : "je vous salue Marine, vous êtes pleine de graisse" etc : un malade !

"C’est vous l’maire ?" que j’ai demandé (comme si moi aussi j’espérais un miracle). Le type répondait pas. "C’est toi Josué ?" que j’ai fait une deuxième fois. Rien. Perdu dans sa prière la pauvre vieille, grave.

Et puis ça m’a traversé l’esprit que peut-être il m’avait vu et juste qu’il crevait de trouille, au point de plus pouvoir articuler. J’étais repéré. Du coup je lui ai vidé le chargeur de mon Beretta dans la tronche en criant : "tu cherchais Dieu mon pote, tu l’as trouvé". C’est con je m’énerve facilement.

Après ça allait mieux. J’avais pas explosé un mariage en entier mais j’étais pas bredouille non plus, j’aurais peut-être une deuxième chance avec le chef. Rasséréné, j’ai commencé à rentrer tranquille, en me répétant l’histoire histoire qu’elle soit le plus convaincante possible rapport au chef.

J’étais cool.

À un moment j’ai entendu un grand bruit...

Je me suis réveillé j’étais mort.

Mais je sentais mon corps, l’effet d’éparpillement s’était résorbé (par la grâce d’Allah).

Mais d’Allah point. De vierges point non plus : l’arnaque continuait à ce qu’il semblait.

Et puis je vois un type qui me regarde : "Salut, moi c’est Pierre".

"Mais non moi c’est Ahmed mec, tu vois pas que je suis pas au bon endroit ?"

"Du calme mon fils, vous avez une chance d’entrer au paradis, malgré vos origines et grâce à l’Europe, vous allez pas cracher dessus quand même !"

"Elles sont où les meufs ?".

"Euh, pas loin, elles arrivent... mais avant il y a une formalité à accomplir"

Je cherche machinalement ma carte de résident, rien. Je flippe.

"Non non m’assure le gars, comme s’il avait lu dans mes pensées, il s’agit d’un questionnaire : il faut répondre à un questionnaire pour avoir accès au paradis"

"Et si on répond pas bien, c’est quoi qu’arrive ?".

"Rien, rien du tout vous inquiétez pas, l’enfer tout ça c’est fini, c’est des vieilles histoires"

"Bon accouche Pierrot, on va pas y passer ma mort"

"Euh, vous avez sans doute entendu parler du questionnaire de Proust ?"

"Qu’est-ce que tu m’fais toi, tu te fous de ma gueule ?"

"Non non, loin s’en faut... de toutes façons c’est à l’anti-questionnaire qu’il vous faut répondre"

"Il se fout de ma gueule !"

"Bon assez ri, vous êtes prêt ?"

"Allez vas-y, vend ta salade je t’écoute"

"L’idée c’est de vous comparer à d’autres trucs, voir si vous êtes ok pour le paradis"

"Vas-y j’te dis"

"Bien. Question un : si vous étiez un dictateur, vous seriez qui ?"

"Rhoôô j’hésite là... euh Ben Laden ou euh... Nelson Mandela"

"Une seule réponse"

"Quoi ils sont bien les deux, non ?"

"Décidez-vous, on n’a pas que ça à faire"

"Bon euh... ou non, plutôt Karim Benzéma alors"

"Mais c’est pas un dictateur bordel... euh, excusez-moi. Ben Laden encore, admettons, Mandela ça va pas"

"Ok, Ben Laden si tu veux"

"Bien. Question 2 : si vous étiez une maladie..."

"Elles sont nazes tes questions"

"Fais pas chier"

"Comment tu m’parles là ! Le respect, tu connais pas ?"

"Putain je vais craquer"

"L’autre hé, il garde les clefs du paradis, il sait même pas causer comme il faut !"

"Bon zut, je marque chaude-pisse"

(s’ensuit une bagarre)

"Reprenons : si t’étais une catastrophe naturelle..."

"C’est toi la catastrophe, je saigne pas là ?"

"T’as plus de sang t’es mort... alors, cette catastrophe ?"

"Euh... ben une bombe hein, pas vrai ?"

"Mais c’est pas vrai ce con. Si t’étais une drogue..."

"L’autre devine hé"

"Ok, noté, un poison..."

"Lola"

"Quoi Lola ?"

"Ben Lola quoi, c’est un poison Lola"

"Ok si t’étais une situation sexuellement humiliante..."

"Ben Lola, t’es bouché ?"

"L’arme d’un crime euh, c’est noté ; un mode de suicide, pareil. Un animal promis à l’abattoir..."

"Un cochon mon frère"

"Dernière question, un extrémisme politique, religieux ou idéologique..."

"Fastoche, François Hollande"

Saint-Pierre disparut se concerter lui-même (ou faire pipi) derrière un strato-cumulus et revint tout sourire peu après

"Alors cousin ?"

Je sentis une trappe se dérober sous mes pieds, je tombais je tombais...

Allaaaaaaaaaaah quoi merde au secours !

Un instant plus tard j’étais à nouveau dans la forêt, tout aussi perdu.

Et impossible de retrouver la carte...

Heureusement Maria passait par là, avec son petit pot de confiture à cochon qu’elle portait chez sa GranMa à l’hôpital. Je l’attrapai sauvagement jusqu’à la faire hurler de plaisir quatorze fois.

C’est d’la bombe ce mec, qu’elle se dit (en son for intérieur) !

Éblouie, ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.

.

[Maurice Clampin 10 103]

Voilà un allumé qu' a un bon pet au casque

Mais on en redemande ...

Aère tes textes mon gars , ça reposera mes yeux fatigués et je prendrai d' autant plus de plaisir à te lire .

[Yemaya 53]

Bonjour Chapati.

Je ne suis pas bien sûre que tu sois tout seul dans ta tête, et je crois que tu fais une petite fixation sur les ceintures explosives... néanmoins ton texte m'a bien fait rire (j'avais aimé également La mort de mémé).

J'attends le suivant (sans ceinture).

[Anna Kronisme 768]

Mais que c'est d'la bombe, ce texte !

Avec le titre, en débutant ma lecture, je comprenais que le gars allait à son mariage comme un porc à l’abattoir et puis, petit à petit, s'est installé le terroriste.

D'ailleurs, ne serait-il pas l'assassin du narrateur d'un texte de Pascou ? (je sifflote, bien entendu... )

Il n'y a que la chute qui soit un tantinet décevante, je suppose que tu manquais de temps. Sois pardonné.

Ceci-dit, le prétexte est excellent pour répondre à cet anti-questionnaire et toutes les contraintes y sont, je ne suis pas déçue. Niveau confiture, j'adore absolument ta recette.

Par contre, sur une question, ça hic un peu...

C'est "Un poison nommé Wanda"... Lola, pfff... !

Merci d'avoir une si belle imagination, ChapiChou.

[chapati 1 803]

L'autre hé la meuf, pas gênée non quoi !

Pas bien ma chute, quatorze fois ?

Ah c'était Pacsou le type aux zoreilles, j'avais lu le texte, mon subconscient sans doute...

Lola pauvre fille, non mais tu connais pas Lola toi, c'est tout !

Ah elle est belle Lola...

Voilà un allumé qu' a un bon pet au casque

Mais on en redemande ...

Aère tes textes mon gars , ça reposera mes yeux fatigués et je prendrai d' autant plus de plaisir à te lire .

Ça veut dire quoi : "aère tes textes" ?

Faut faire plus long ?

Bonjour Chapati.

Je ne suis pas bien sûre que tu sois tout seul dans ta tête, et je crois que tu fais une petite fixation sur les ceintures explosives... néanmoins ton texte m'a bien fait rire (j'avais aimé également La mort de mémé).

J'attends le suivant (sans ceinture).

Moi et les ceintures explosives, c'est freudien, je peux pas expliquer.

Bon j'essaierai... :)

.

[Anna Kronisme 768]

C'est la Lola de Bruel ? Celle qu'il attend et qui vient pas ?

Pour la chute de ton texte, terminer par "Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants !" renvoie trop à l'histoire pour enfant, une forme de conte qui n'avait que pour but de distiller une certaine morale au travers de personnages fantas(ma)tiques. C'est comme terminer un texte avec le truc "Lorsqu'il se réveilla, il comprit que tout ceci n'était qu'un rêve." suite à un récit qui avait pourtant emmené le lecteur très loin. C'est comme dire que tout ce qui a été raconté n'était qu'une blague. Et c'est dommage...

Voilà ce que j'en pense et que j'en penserais même quatorze fois d'affilé.

Pour l'aération, Clampin fait sûrement référence à la forme (surtout durant le dialogue avec Pierrot).

[chapati 1 803]

Pour la chute de ton texte, terminer par "Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants !" renvoie trop à l'histoire pour enfant

M'enfin quand même... y'a "éblouie" avant, ça compte pas pour du beurre.

Mais bon, j'avais eu peur que ce fut rapport à la confiture à cochon que tu ralâs, rhââllah.

Dieu soit loué, tout est bien qui finit bien !

PS : non pas Bruel, connais pas sa chanson

[Yemaya 53]

S'agit-il de cette Lola ?

[Criterium 780]

J'ai bien aimé! :happy:

Au début le style un peu "râleur" des premiers paragraphes m'embêtait, mais finalement le texte se déroule se manière fluide et assez inattendue (je ne pensais pas y trouver le questionnaire!), ce qui capte l'attention... donc c'était agréable à lire et à découvrir.

[chapati 1 803]

En fait c'est très bizarre et sympa aussi d'avoir des "retours" sur un texte, des critiques. Le problème c'est que je comprends pas bien : "aérer", un "style râleur". Râleur ? (mais c'est bien comme ça).

Là y'avait une idée, le type avec sa ceinture - mais on le sait pas - qui se retrouve hésitant ; et puis le paroissien issu d'un texte de Pascou... et ça "fonctionne" ça avance.

Plutôt facile d'écrire avec une idée. On corrige, bon ça va.

Dans un élan douteux, genre écoutons les critiques jusqu'au bout.... j'ai hier tenté de faire un texte "sans inspiration". Ouille. J'ai commencé à écrire le type face à sa page blanche, et voulu continuer dans la même euh verve. L'horreur. Enfin c'est dans un coin, une curiosité littéraire assurément : si je le finis un jour et que c'est montrable, je le mettrai. Je le ferai pas deux fois.

Sinon Lola c'est récurrent chez moi : elle s'appelle Lola, comme ça, sans rapport avec une chanson.

Encore que y'en aurait bien une, de chanson...

[Invité Lowy]

Je viens de lire :) et :) et encore :)

Malade.

surprenant :)

[Invité Lowy]

Tu as la plume pour faire des mangas