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Os et moelle


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Ces dernières années, je n'ai eu de cesse de me poser la question. D'où me vient cette attrait obsessif pour la pensée et pour ses recoins les plus profondément dissous dans les méandres de la conscience ?

Cet amour inconsidérément porté vers la beauté de l'âme naît pourtant d'un amour de la beauté à l'état immédiat, celle qui me fut donné de percevoir dès les premières années de ma vie. Un son, une senteur, un vent caresseur, une vision dont le pouvoir est de magnifier toutes ces sensations au même instant pour en extraire le nectar apothéotique...

Une beauté transcendante ?

Il me semblait pourtant n'aimer que la coquille, l'objet de mon amour demeurant - de manière frustrante - futile et impénétrable.

Vous rappelez-vous de vos premiers jouets en plastique ? Les voir est excitant au premier contact. Le seul fait de pouvoir les toucher est un appel au jeu et à la découverte, au divertissement. Et un enfant ne peut qu'y être réceptif.

Leur senteur pourtant, fade et insapide, lasse vite le bambin qui regrette déjà l'ennui dans lequel il retournera bientôt. Quant au son que le jouet émet (s'il en émet un), il devient au mieux une litanie qu'on écoute d'une oreille distraite, au pire une torture auditive qu'on s'empresse d'étouffer à tout jamais... si ce n'est pas par pur sadisme.

Je palpais mes jouets, je les examinais sous tous les angles et j'essayais de leur donner une identité, trier leurs propriétés et connaître leur comportement. Bien vite, cependant, la réalité du jouet me frappait de plein fouet et je me rendais à l'évidence que l'objet est une entité finie. Il s'agit d'un produit à l'extension spatiale désespérément limitée, aux propriétés somme toute assez peu nombreuses et dont les comportements ne peuvent même pas être déterminés par l'utilisateur. Bien vite, j'ai laissé derrière moi ces artefacts bisphénolisés pour ne m'intéresser seulement qu'aux produits Lego® qui permettaient au créateur une plus grande liberté d'action. Puis je les ai laissés eux aussi pour me tourner vers une feuille en papier.

Elle est belle la liberté de déposer en fines couches la substance grise de son cerveau sur un objet aussi simple et aussi répandu que le papier. Liberté dis-je ? N'est-ce pas plutôt l'illusion de la liberté ?

Car il m'est apparu que les degrés de liberté d'une pensée individuelle sont eux aussi limités, et que dans le cerveau humain, aussi sophistiqué soit-il, la couverture superficielle de la matière grise et de ses nombreuses circonvolutions est elle-même limitée.

Superficiel, voilà un mot qui sied à merveille pour effectuer la transition vers cette nouvelle partie. Mon intérêt pour la superficialité a éclairé sur mon chemin une voie que je n'avais jamais empruntée. Ainsi, je pouvais désormais intellectualiser la connaissance des choses et non plus seulement les toucher du regard ou de l'esprit. Mon esprit allait désormais tâcher de s'immiscer à l'intérieur de la notion et de la décomposer en d'innombrables entités. Et plus il y en a, mieux c'est, puisque le nombre me permettait d'imaginer que j'avais devant moi une décomposition non pas discrète mais infiniment sécable, devoir m'arrêter devant des morceaux élémentaires ayant été ma plus grande peur.

Car la Notion est d'une infinie beauté. Non pas qu'il est possible de disserter là-dessus jusqu'à la fin des temps, mais sa beauté est infinie dans son caractère non bornable par l'esprit humain. Il est possible de donner des qualités à la notion, seulement elle ne sera jamais entièrement définie par ces seules qualités. Le degré d'abstraction que requiert la compréhension de la notion de Notion est lui-même indicateur de la complexité de la discussion que nous engageons. Car l'individu croit pouvoir sceller définitivement la définition de l'objet en lui donnant un nom, une forme, une couleur, que sais-je. Mais ce nom, cette image qu'il a de l'objet sont-ils indicateurs de la vérité que contient cet objet ? Ils le sont, d'un certain point de vue.

Je me trouvais au fond de la caverne de Platon et j'essayais d'en sortir.

La lumière a aveuglé mes yeux et les a rendus débiles. J'ai cru comprendre que la Vérité était inaccessible à l'Homme car mes yeux n'arrivaient pas à voir l'infinie étendue des choses, un Savoir que je pensais accordé à l'Omniscient. Je le pense encore aujourd'hui, mais j'ai appris à fermer les yeux non pas, cette fois, pour deviner la forme des objets, mais pour mieux accepter que la beauté ne se regarde pas fixement.

La beauté est dynamique, et c'est mieux ainsi.

Je me délecte aujourd'hui de la pensée de mes interlocuteurs en dévorant la moelle substantifique de leur cortex cérébral. Oh non, ce n'est pas par pur sadisme...

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