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Et Usain Bolt s'élança...


Michael Westen

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3h25 du matin, heure française. Usain Bolt est le dernier des 8 finalistes à entrer dans le stade. La foule est en délire. Probablement pour la première fois de l'histoire, avant même que la course ne commence, une ovation est faite aux participants de la finale du 100m, un boucan hallucinant, qui s'arrête aussi vite qu'il a commencé.

Tous les fans de sport, et même les autres, qui ont déjà regardé une finale du 100m savent qu'un des meilleurs moments ne se déroule pas pendant la course, mais juste avant. Les 20, les 30 secondes avant le starter. Quand les sprinteurs s'installent dans les starting blocks et que tout le stade, tous les journalistes, tous les téléspectateurs, retiennent leur souffle, et qu'on n'entend plus le moindre bruit dans un stade pourtant plein à craquer. Toujours un moment incroyable, le calme avant la tempête. Ou plutôt le calme avant l'orage. Le calme avant "La Foudre".

Et le silence s'installe donc. Je suis persuadé que la moitié des personnes dans le stade s'est même arrêtée un instant de respirer. Le starter est long, il demande aux coureurs de se tenir prêts, et le coup de feu retentit. Le silence laisse place à des hurlements, aux crépitements des appareils photos, et presque immédiatement, le monde entier voit qu'Usain Bolt, le double champion olympique, le recordman du monde, la star, la légende, le meilleur sprinteur de l'histoire de l'athlétisme, a pris un mauvais départ.

Pour son dernier 100m aux Jeux Olympiques, pour devenir le seul à avoir remporté 3 médailles d'or sur cette distance, il se retrouve avec quelques mètres de retard sur plusieurs de ses adversaires, y compris son plus grand rival, qui ne l'a jamais battu mais s'en rapproche dangereusement, Justin Gatlin.

En demie-finale, une heure avant, il avait déjà pris un mauvais départ, mais simplement pour être sûr de ne pas être disqualifié, puisqu'un des concurrents était parti avant le coup de feu, et s'était donc vu exclu de la course. En demie-finale, Bolt n'a pas besoin de prendre de risques, donc il ne joue pas avec le feu, il attend tranquillement que le coup de feu parte, avant de se décider à s'élancer.

Il a jusqu'à 2 mètres de retard sur certains de ses adversaires, mais il relève la tête, accélère, prend la tête, et, comme il l'a souvent fait, tourne la tête à gauche puis à droite, pour regarder où en sont ses adversaires. Quiconque suit un minimum l'athlétisme a déjà vu Usain Bolt faire ces gestes. Presque à chaque course, tant il domine la concurrence à chaque fois.

Mais pas comme en demie-finale ce soir. Ce soir, alors qu'il est à pleine vitesse, à environ 30 mètres de la ligne, en tournant la tête vers le canadien DeGrasse, Bolt sourit. C'est même pire que ça, on a l'impression qu'il rit. Il tourne la tête à droite, et c'est flagrant, il affiche un large sourire. Alors qu'autour de lui, les meilleurs sprinteurs du monde sont tous en plein effort, en pleine souffrance, lui sourit, tout en continuant à les distancer. Surréaliste. En totale confiance. En total relâchement. Presque insolent.

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Il commence à ralentir 15 mètres avant la ligne d'arrivée, sûr d'être qualifié pour la finale, et comme pour montrer aux autres que, quoi qu'ils fassent, ils ne pourront pas le battre. C'est ce que tout le monde attendait, et ce que tout le monde voudra revoir en finale, contre Gatlin. Gatlin justement, fait pareil dans sa demie-finale, (sans le sourire) mais l'impression n'est pas la même. C'est moins fluide, c'est moins beau. Evidemment, puisque ce n'est pas Bolt.

Le bon, la piste et le truand

Gatlin, coupable deux fois de dopage, suspendu des années, avant de revenir et de battre ses meilleurs temps, à plus de 30 ans et "sans dopage" d'après lui : c'est le méchant de l'histoire, donc il ne sourit pas. C'est celui que tout le public, que tous les téléspectateurs, veulent toujours voir perdre, contre Usain Bolt, le champion, qui gagne, qui sourit, qui danse, qui est cool.

Et ils ont été servis, car Gatlin n'a jamais battu Bolt, que ce soit aux championnats du monde ou aux Jeux Olympiques de Londres, que ce soit sur 100m ou sur 200m. Ces Jeux de Rio, c'est peut-être sa dernière chance de prouver qu'il peut battre le roi. Mais contrairement à l'an dernier aux championnats du monde de Pékin, peu de monde y croit. Et encore moins de monde le souhaite.

Et ce soir, dans cette finale que tout le monde attendait, Gatlin a pris un bon départ, lui. Il a plusieurs mètres d'avance sur Bolt, et il produit son effort. Plus petit, plus musclé, plus tendu, il est en tête et continue d'accélérer. 40 mètres, 50 mètres, Bolt a relevé la tête, Bolt allonge sa foulée, mais Bolt est toujours derrière Gatlin.

65 mètres de parcourus, et Justin Gatlin voit revenir à sa hauteur le jamaïcain le plus rapide, l'homme le plus rapide du monde. On ne regarde même plus les autres couloirs, les autres concurrents. Et pourtant, un français est en finale, Jimmy Vicaut, et, rarissime, c'est une chance de médaille car il a réalisé le 3ème temps des demies, et qu'il est un des plus rapides derrière les deux favoris.

Mais personne ne le regarde vraiment, comme personne ne regarde vraiment le canadien DeGrasse qui finira 3ème, ou l'autre jamaïcain, Yohan Blake, pourtant champion du monde en 2011, vainqueur lors de la seule finale où Bolt n'avait pu disputer ses chances, coupable du seul faux départ de sa carrière.

Tout va se jouer entre Bolt et Gatlin, comme tout le monde l'espérait, comme à chaque fois, et à part quelques américains (car même dans son pays il ne fait plus l'unanimité...) et probablement ses proches, le monde entier ou presque veut voir Gatlin perdre, autant qu'il veut voir Usain Bolt gagner, pour la dernière fois, un 100 mètres aux Jeux Olympiques, 4 ans après Londres, 8 ans après Pékin. Pour la troisième fois. Pour la dernière fois.

Et Bolt passe Justin Gatlin à 15 mètres de la ligne. Il sait qu'il va gagner, et Gatlin le sait sûrement aussi. Bolt arrive même à creuser un peu l'écart, puis trouve le temps de frapper son torse avec le poing avant de passer la ligne. Le chrono s'arrête sur 9"81. Pour n'importe quel autre athlète, ce serait la meilleure performance de sa saison, voire de sa carrière. Pour Bolt, c'est un "classique". Sans un départ raté, qui sait s'il n'aurait pas pu approcher son surréaliste record du monde de 9 secondes 58 centièmes ? Peu importe, il ne visait que l'or, et il l'a eu. Encore. Et encore raté pour Gatlin, qui finit encore 2ème. Il n'aura donc jamais réussi à le battre dans une grande compétition. A moins que... il reste encore le 200 mètres, et éventuellement des championnats du monde l'an prochain, si Usain décide de continuer. Mais peu importe.

La légende retiendra qu'Usain Bolt est le seul à avoir gagné 3 fois le 100 mètres aux J.O. Qu'il est le seul à avoir écrasé à ce point cette discipline à part dans l'athlétisme, le moment qu'aucun autre sport n'arrive à égaler, à part peut-être une finale de coupe du monde de football, et encore. Contrairement à ce que dit le proverbe, "la foudre" Bolt aura frappé 3 fois au même endroit, et aura frappé 2 fois sur Justin Gatlin.

Mais la légende retiendra surtout ces moments, ceux où des centaines de millions de personnes dans le monde attendent, presque sans respirer, qu'un coup de feu ne retentisse dans un stade et que les étoiles s'élancent. Pour moins de 10 secondes. Et pour l'éternité.

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